Disciples du Christ et artisans de paix !
Heureux les artisans de paix
Les temps que nous traversons m’invitent à méditer sur cette béatitude : la guerre en Europe, les tensions internationales dans bien des régions du monde, les tensions sociales en France, la violence sur les réseaux sociaux et dans la vie, tout cela sur fond d’inquiétudes écologiques et de peurs.
Disciples du Christ, nous sommes invités à être artisans de paix dans ce contexte. Ce peut être tout à fait un effort de Carême, qui décentre de soi-même et tourne vers Dieu et le prochain. L’artisan de paix s’engage à œuvrer au service de relations ajustées entre Dieu et la personne humaine, ou entre les personnes humaines. Le péché divise, la conversion réconcilie, la sainteté unit dans la paix de Dieu.
Comment promouvoir la paix ? En quittant nos tranquillités égoïstes, car la paix est autre chose que le repli sur soi, ou la fuite devant les difficultés. « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive », dit Jésus (Mt. 10, 34) ; pourtant les premiers mots du Christ ressuscité sont : « la paix soit avec vous ! » (Jean 20, 19). La vraie paix passe par la croix du Christ ; elle est le fruit de sa mort et de sa résurrection. Ainsi, être artisan de paix demande d’entrer dans un combat intérieur et extérieur en saisissant le glaive de la Parole de Dieu. Celle-ci, accueillie avec foi, émonde les cœurs, les purifie, les unifie, les pacifie. L’être humain pacifié irradie la paix autour de lui.
Ce glaive de la Parole, nous avons mission de le porter au monde, en témoignant de l’amour de Dieu, un amour qui dérange, qui met tout dans la lumière, qui guérit, qui conduit à la paix. Dans ces méditations non exhaustives sur le sujet, j’évoquerai la tempérance ; la dépossession ou désappropriation ; la lutte contre les injustices ; la miséricorde ; la réconciliation ; la gratuité dans les relations humaines.
Prière
Prière pour la paix en Ukraine :
Dieu notre Père, Père de la famille humaine, daigne prendre en pitié le peuple ukrainien agressé sur sa propre terre, et délivre-le de ses ennemis. Donne-lui de retrouver sa juste autonomie dans ses frontières et de pouvoir décider par lui-même de son avenir.
Père, nous te prions pour son agresseur, et nous te demandons de venir toucher son cœur, pour que cessent les combats et qu’il quitte l’Ukraine.
Père, enlève aussi du cœur de tout être humain les germes de haine, de domination, de division, et l’esprit de vengeance ; mets en chacun un esprit de respect, de paix, de pardon, un désir de réconciliation et de fraternité.
Père, tu as envoyé dans le monde ton Fils Jésus, le Prince de la paix, pour libérer l’humanité des forces du mal. Il a déclaré bienheureux les artisans de paix ; fais à ses disciples la grâce de l’amour désintéressé, de l’humilité, du courage, pour qu’ils soient promoteurs de la paix dans le monde.
Que la Vierge Marie, Reine de la paix, veille sur l’Ukraine et sur le monde entier !
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse
publié le 25 février 2023
Unifier son être intérieur
La tempérance
La tempérance est une vertu qui consiste à garder une maîtrise de soi, à réguler ses propres passions pour les mettre au service du bien, au service de la charité. Elle est une vertu et une grâce à recevoir. La maîtrise de soi est citée par saint Paul dans le fruit de l’Esprit (Gal. 5, 22-23).
L’être humain, dès l’enfance, doit apprendre à s’humaniser, à ne pas se laisser mener par ses instincts, ses appétits, ses colères, ses sympathies ou ses antipathies. Cela fait partie du travail d’éducation par lequel il doit passer. Le but est de lui permettre d’établir des relations équilibrées, respectueuses et responsables vis-à-vis des réalités de ce monde, de toutes les créatures et particulièrement de ses semblables. Il unifie sa personne en ordonnant ses passions au service d’un bien supérieur, au service de la charité, au service de l’amour de Dieu et du prochain. La grâce de Dieu l’aide puissamment à unifier son être intérieur et à ajuster ses relations aux autres, relations faites d’amour et de respect, dans la liberté.
Le jeûne aide à la maîtrise des appétits, et nous libère des addictions. La patience et la confiance aident à ne pas se laisser gagner par la colère. La charité permet de ne pas se laisser emprisonner par les sympathies et à dépasser les antipathies.
La tempérance est une vertu et un don très utiles pour devenir artisan de paix, pour établir des relations justes, respectueuses et libres.
Pour approfondir ce sujet, vous pouvez méditer l’épître aux Galates, chapitre 5, versets 13 à 25.
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse
publié le 3 mars 2023
Travailler à la justice
« Justice et paix s’embrassent » psaume 84
La paix est œuvre de justice selon le Concile Vatican II. On ne peut être artisan de paix sans travailler à plus de justice, en rendant à Dieu et à chaque personne humaine ce qui lui est dû : à Dieu l’adoration ; à la personne humaine, le respect, la dignité. On peut ajouter aussi qu’à la création est due une bonne gestion dans le respect de sa finalité propre. Le partage auquel nous invite le carême peut être considéré comme une œuvre de justice : en effet, il ne fait que rendre aux plus démunis les biens qui leur reviennent.
Partager une partie de mes biens à ceux qui sont plus pauvres que moi ne me donne aucun ascendant ni aucun droit sur eux, et ne peut pas être une occasion de me valoriser. C’est pourquoi il est bon que notre main gauche ignore ce que donne notre main droite, comme nous y invite Jésus : pour éviter de lier à nous les personnes aidées, ou de solliciter leur reconnaissance.
Dieu a destiné à toute l’humanité les biens de sa création, et il ne convient pas que la plupart des richesses soient accumulées par une petite partie de l’humanité. Derrière la question compliquée des migrations, il y a, entre autres raisons, le désir d’habitants de pays pauvres de partager les richesses des pays riches, dont certaines viennent de ces pays pauvres.
Comment travailler à la justice ? En redonnant à Dieu toute sa place, et en regardant nos semblables et toute la création dans le regard de Dieu qui les a créées. C’est à partir d’une vision éclairée par Dieu, en entrant dans ses vues et en désirant faire sa volonté, que nous pouvons agir, personnellement et ensemble. Si nous nous fions à notre seul jugement, nous risquons de nous tromper et de commettre des injustices. Pour nous aider, nous avons la Doctrine Sociale de l’Église, élaborée à partir des encycliques sociales des papes, et rassemblée dans un livre : le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église. Ce peut être une bonne lecture de carême.
La béatitude des artisans de paix est indissociable de celle-ci : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ».
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse
publié le 10 mars 2023
Le sens du partage
La désappropriation et le partage
Être artisan de paix demande d’acquérir le sens du partage et un réel détachement vis-à-vis des biens. Le partage est une question de justice, comme je l’ai évoqué la semaine dernière, mais il va plus loin. Il relève aussi de la charité, de l’amour du prochain. Nous sommes appelés à partager notre superflu mais aussi notre nécessaire. Pour cela nous avons besoin d’être éduqués au sens du commun, c’est-à-dire qu’un bien reçu, matériel, intellectuel, culturel, ou autre, n’est pas à garder égoïstement pour soi, mais à mettre au service de tous, de manière directe ou indirecte. Nous l’avons appris des dons spirituels reçus à la confirmation ou lors d’une ordination, ou encore des charismes : plus ils sont mis au service des autres, plus ils grandissent ; moins ils sont mis au service des autres et plus ils s’atrophient. Ce qui est vrai des dons spirituels l’est d’une certaine manière pour tous les biens. Les richesses, quelles qu’elles soient, sont toujours en vue du bien de tous. Jésus, dans l’évangile selon saint Luc, dénonce celui qui amasse pour lui-même au lieu d’être riche en vue de Dieu (cf. Luc 12, 21). Ce n’est pas une remise en question de la propriété privée mais une remise en question d’une destination égoïste du bien.
Garder jalousement pour soi un bien, sans en faire profiter les autres (famille, amis, ou des cercles plus larges), suscitera inévitablement des tensions et des guerres. Combien de ruptures dans les familles pour des questions d’héritage ? Combien de conflits entre les peuples pour des biens conservés égoïstement et suscitant des convoitises ?
Le détachement ou la désappropriation permettent plus facilement le partage des richesses, et rappelle à leur propriétaire la finalité des biens en leur possession. C’est ainsi que les personnes détachées peuvent œuvrer avec fécondité pour la paix.
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse
publié le 18 mars 2023
Le socle inébranlable de la paix
La Miséricorde
Le chemin pour construire la paix passe par la miséricorde, c’est-à-dire par un amour vainqueur du mal. La miséricorde ne dispense pas de la justice ; celle-ci reste une condition incontournable de la paix. Mais l’amour miséricordieux est le socle inébranlable de la paix, comme le Christ l’a prouvé en donnant sa vie pour nous :
« C’est Lui, le Christ qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine… » (Eph. 2, 14). « Dieu a jugé bon qu’habite en Lui [Jésus] toute plénitude et que tout, par le Christ, Lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel » (Col. 1, 19-20).
La miséricorde remet la dette, elle pardonne, elle vient au secours de celui qui est confronté au mal qu’il subit ou au mal qu’il a commis. Elle rétablit la relation. La justice reconnaît les torts, cherche à réparer les injustices, mais elle pourrait en rester là, si la miséricorde ne prenait pas le relai pour réconcilier les personnes ou les communautés ou les pays et rétablir des relations de confiance et d’amitié.
S’il n’y a pas de réconciliation, la paix est illusoire. L’histoire nous montre qu’on ne fait pas la paix entre deux pays en guerre en signant un traité qui humilie le vaincu. Car alors viendra l’heure de la revanche. Il est nécessaire de prendre le temps de se rencontrer, de se comprendre, de découvrir ce qu’il y a de bon dans l’autre pour pardonner et arriver à la paix. Ce chemin peut être long ; il y a des blessures qui rendent impossible, à vue humaine, le pardon. Mais le cœur humain, avec la grâce de Dieu, peut trouver en lui une force insoupçonnée pour pardonner. Il est souhaitable que ce chemin de réconciliation aboutisse à ce que les deux partis (les pays, les personnes, les communautés) apprennent à marcher ensemble dans la même direction.
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse
publié le 24 mars 2023
La Paix comme engagement
La gratuité
La gratuité dans les relations humaines est un élément incontournable de l’engagement pour la paix. L’Amour de Dieu, fondement de tout ce qui existe, est totalement gratuit ; Dieu n’a pas besoin de sa Création, c’est par pure bonté, dans la logique de l’Amour, qu’Il a créé le monde et en particulier l’être humain, seul capable de percevoir l’Amour divin et d’entrer en alliance avec Lui.
Dans le récit de la chute, le livre de la Genèse montre un changement, après le péché, dans la relation de l’homme et de la femme : leur regard intérieur s’affaiblit et ils sont conduits à cacher leur nudité, à se protéger, car la relation entre eux doit gérer la force du désir et la tentation de la domination. Ainsi la qualité de l’amour peut être faussée par une attitude intéressée.
Le penchant de la nature humaine blessée est de chercher des relations intéressées, dans lesquelles l’autre n’est pas considéré pour lui-même ou elle-même, mais pour ce qu’ils apportent. La tentation d’utiliser l’autre est fréquente dans les relations, même lorsque la personne à l’origine de la relation n’en est pas consciente. Ces relations intéressées peuvent aller jusqu’à l’emprise et les divers abus mis au jour ces dernières années. L’autre peut devenir une chose manipulée par celui ou celle qui prend autorité sur lui ou sur elle. Alors la personne « utilisée » est prisonnière, esclave, elle ne peut pas être elle-même ; le jour où elle en prend conscience, si elle le peut, elle casse la relation. Il n’y a pas de paix possible dans cette logique.
La paix exige un grand respect de toute personne humaine, de tout pays, de toute culture, de tout peuple. La paix exige un engagement pour le bien des personnes et de tous, mais on ne peut faire le bien des autres malgré eux.
+ Guy de Kerimel
Archevêque de Toulouse
publié le 31 mars 2023