Message de carême 2022 du pape François

« Nous re?colterons, si nous ne perdons pas courage »

« Nous re?colterons, si nous ne perdons pas courage »: dans son message de carême, publié ce jeudi 24 février 2022, le pape François invite à persévérer dans le bien, dans la prière, dans la lutte contre le mal, spécialement pendant tout ce carême, qui commence mercredi prochain, 2 mars et conduit à Pâques, dimanche 17 avril.

Le pape souligne la nécessité de prier sans se lasser: « Ne nous lassons pas de prier. Je?sus a enseigne? qu’il faut « toujours prier sans se de?courager ». Nous devons prier parce que nous avons besoin de Dieu. Se suffire a? soi-me?me est une illusion dangereuse. »

Personne ne peut se dispenser de la prière, qui est source de « réconfort » et de « victoire », insiste le pape: « Si la pande?mie nous a fait toucher du doigt notre fragilite? personnelle et sociale, que ce Care?me nous permette d’expe?rimenter le re?confort de la foi en Dieu sans laquelle nous ne pouvons pas tenir. Personne ne se sauve tout seul, car nous sommes tous dans la me?me barque dans les tempe?tes de l’histoire. Mais surtout personne n’est sauve? sans Dieu, car seul le myste?re pascal de Je?sus-Christ donne la victoire sur les eaux sombres de la mort. »

Enfin, la prière, dans la foi, dans l’Esprit Saint, permet de « traverser » les tempêtes dans « l’espérance » et « l’amour »: « La foi ne nous dispense pas des tribulations de la vie, mais elle permet de les traverser unis a? Dieu dans le Christ, avec la grande espe?rance qui ne de?c?oit pas et dont le gage est l’amour que Dieu a re?pandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint. »

Avec la prière, le pape encourage le recours au sacrement du pardon, au jeûne – notamment le jeûne des réseaux sociaux dont « l’addiction » conduit à « appauvrir les relations humaines » -, et à la charité concrète.

De fait, ce message de carême est en date du 11 novembre dernier, en la fête de saint Martin de Tours (+397), saint patron de Buenos Aires, et signe d’une charité authentique, « apôtre de la miséricorde »: le pape le donne souvent en exemple.

Voici le texte complet du message de carême dans la traduction du Vatican.

AB


« Ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous re?colterons, si nous ne perdons pas courage. Ainsi donc, lorsque nous en avons l’occasion, travaillons au bien de tous » (Gal 6, 9-10a)

Chers fre?res et sœurs,

Le Care?me est un temps propice de renouveau personnel et communautaire qui nous conduit a? la Pa?que de Je?sus-Christ mort et ressuscite?. Pendant le chemin de Care?me 2022 il nous sera bon de re?fle?chir a? l’exhortation de saint Paul aux Galates : « Ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous re?colterons, si nous ne perdons pas courage. Ainsi donc, lorsque nous en avons l’occasion (chairo?s), travaillons au bien de tous » (Gal 6, 9-10a).

Semailles et re?colte

Dans ce passage, l’Apo?tre e?voque l’image des semailles et de la re?colte, si che?re a? Je?sus (cf. Mt 13). Saint Paul nous parle d’un chairos : un temps propice pour semer le bien en vue d’une re?colte. Quelle est cette pe?riode favorable pour nous ? Le Care?me l’est, certes, mais toute l’existence [1] terrestre l’est aussi, et le Care?me en est de quelque manie?re une image [1]. Dans notre vie, la cupidite? et l’orgueil, le de?sir de posse?der, d’accumuler et de consommer pre?valent trop souvent, comme le montre l’homme insense? dans la parabole e?vange?lique, lui qui conside?rait sa vie su?re et heureuse gra?ce a? la grande re?colte amasse?e dans ses greniers (cf. Lc 12 ,16-21). Le Care?me nous invite a? la conversion, au changement de mentalite?, pour que la vie ait sa ve?rite? et sa beaute? non pas tant dans la possession que dans le don, non pas tant dans l’accumulation que dans la semence du bien et dans le partage.

Le premier agriculteur est Dieu lui-me?me, qui ge?ne?reusement « continue de re?pandre des semences de bien dans l’humanite? » (Enc. Fratelli tutti, n. 54). Pendant le Care?me, nous sommes appele?s a? re?pondre au don de Dieu en accueillant sa Parole « vivante et e?nergique » (He 4,12). L’e?coute assidue de la Parole de Dieu fait mu?rir une docilite? pre?te a? son action (cf. Jc 1,21) qui rend notre vie fe?conde. Si cela nous re?jouit de?ja?, plus grand encore est cependant l’appel a? e?tre « des collaborateurs de Dieu » (1 Co 3, 9), en tirant parti du temps pre?sent (cf. Ep 5, 16) pour semer nous aussi en faisant du bien. Cet appel a? semer le bien ne doit pas e?tre conside?re? comme un fardeau, mais comme une gra?ce par laquelle le Cre?ateur nous veut activement unis a? sa fe?conde magnanimite?.

Et la re?colte ? Ne se?me-t-on pas en vue de la re?colte ? Bien su?r. Le lien e?troit entre les semailles et la re?colte est re?affirme? par saint Paul lui-me?me, qui affirme : « A? semer trop peu, on re?colte trop peu ; a? semer largement, on re?colte largement » (2 Co 9, 6). Mais de quelle moisson s’agit-il ? Un premier fruit du bien seme? se retrouve en nous-me?mes et dans nos relations quotidiennes, jusque dans les plus petits gestes de bonte?. En Dieu, aucun acte d’amour, si petit soit- il, et aucune “fatigue ge?ne?reuse” ne sont perdus (cf. Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 279). De me?me que l’arbre se reconnai?t a? ses fruits (cf. Mt 7,16-20), de me?me la vie remplie de bonnes œuvres est lumineuse (cf. Mt 5, 14-16) et apporte au monde le parfum du Christ (cf. 2 Co 2,15). Servir Dieu, sans pe?che?, fait re?colter des fruits de saintete? pour le salut de tous (cf. Rm 6, 22).

En re?alite?, il ne nous est permis de voir qu’une petite partie du fruit de ce que nous semons puisque, selon le proverbe e?vange?lique, « l’un se?me, l’autre moissonne » (Jn 4, 37). C’est pre?cise?ment en semant pour le bien d’autrui que nous participons a? la magnanimite? de Dieu : « Il y a une grande noblesse dans le fait d’e?tre capable d’initier des processus dont les fruits seront recueillis par d’autres, en mettant son espe?rance dans les forces secre?tes du bien qui est seme? » (Enc. Fratelli tutti, n. 196). Semer le bien pour les autres nous libe?re de la logique e?troite du gain personnel et confe?re a? nos actions le large souffle de la gratuite?, en nous inse?rant dans l’horizon merveilleux des desseins bienveillants de Dieu.

La Parole de Dieu e?largit et e?le?ve notre regard encore plus, elle nous annonce que la ve?ritable moisson est la moisson eschatologique, celle du dernier jour, du jour sans coucher du soleil. Le fruit accompli de notre vie et de nos actions est le « fruit pour la vie e?ternelle » (Jn 4, 36) qui sera notre « tre?sor dans les cieux » (Lc 12, 33 ; 18, 22). Je?sus lui-me?me utilise l’image du grain qui meurt en terre et porte du fruit pour exprimer le myste?re de sa mort et de sa re?surrection (cf. Jn 12, 24) ; et Saint Paul la reprend pour parler de la re?surrection de notre corps : « Ce qui est seme? pe?rissable ressuscite impe?rissable ; ce qui est seme? sans honneur ressuscite dans la gloire ; ce qui est seme? faible ressuscite dans la puissance ; ce qui est seme? corps physique ressuscite corps spirituel » (1 Co 15, 42-44). Cet espoir est la grande lumie?re que le Christ ressuscite? apporte dans le monde : « Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus a? plaindre de tous les hommes. Mais non ! Le Christ est ressuscite? d’entre les morts, lui, premier ressuscite? parmi ceux qui se sont endormis » (1 Co 15, 19-20), de sorte que ceux qui sont intimement unis a? lui dans l’amour, « par une mort qui ressemble a? la sienne » (Rm 6, 5), soient aussi unis dans sa re?surrection pour la vie e?ternelle (cf. Jn 5, 29) : « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Pe?re » (Mt 13, 43).

« Ne nous lassons pas de faire le bien »

La re?surrection du Christ anime les espoirs sur terre de la « grande espe?rance » de la vie e?ternelle et introduit de?ja? le germe du salut dans le temps pre?sent (cf. Benoi?t XVI, Enc. Spe salvi, nn. 3. 7). Face a? l’ame?re de?ception de tant de re?ves brise?s, face a? l’inquie?tude devant les de?fis qui nous attendent, face au de?couragement du? a? la pauvrete? de nos moyens, la tentation est de se replier sur son propre e?goi?sme individualiste et de se re?fugier dans l’indiffe?rence aux souffrances des autres.

En effet, me?me les meilleures ressources sont limite?es : « Les garçons se fatiguent, se lassent, et les jeunes gens ne cessent de trébucher » (Is 40, 30), mais Dieu « rend des forces a? l’homme fatigue?, il augmente la vigueur de celui qui est faible. (…) Ceux qui mettent leur espe?rance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils de?ploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se lasser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 29.31). Le Care?me nous appelle a? placer notre foi et notre espe?rance dans le Seigneur (cf. 1 P 1, 21), car c’est seulement avec le regard fixe? sur Je?sus-Christ ressuscite? (cf. He 12, 2) que nous pouvons accueillir l’exhortation de l’Apo?tre : « Ne nous lassons pas de faire le bien » (Ga 6, 9).

Ne nous lassons pas de prier. Je?sus a enseigne? qu’il faut « toujours prier sans se de?courager » (Lc 18, 1). Nous devons prier parce que nous avons besoin de Dieu. Se suffire a? soi-me?me est une illusion dangereuse. Si la pande?mie nous a fait toucher du doigt notre fragilite? personnelle et sociale, que ce Care?me nous permette d’expe?rimenter le re?confort de la foi en Dieu sans laquelle nous ne pouvons pas tenir (cf. Is 7, 9). Personne ne se sauve tout seul, car nous sommes tous dans la me?me [2] barque dans les tempe?tes de l’histoire. Mais surtout personne n’est sauve? sans Dieu, car seul le myste?re pascal de Je?sus-Christ donne la victoire sur les eaux sombres de la mort. La foi ne nous dispense pas des tribulations de la vie, mais elle permet de les traverser unis a? Dieu dans le Christ, avec la grande espe?rance qui ne de?c?oit pas et dont le gage est l’amour que Dieu a re?pandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint (cf. Rm 5, 1-5).

Ne nous lassons pas d’e?liminer le mal de notre vie. Que le jeu?ne corporel auquel nous appelle le Care?me fortifie notre esprit pour lutter contre le pe?che?. Ne nous lassons pas de demander pardon dans le sacrement de la pe?nitence et de la re?conciliation, sachant que Dieu ne se lasse pas [3]. Ne nous lassons pas de lutter contre la concupiscence, cette fragilité qui nous pousse a? l’e?goi?sme et a? tout mal, trouvant au fil des sie?cles diverses voies permettant de plonger l’homme dans le pe?che? (cf. Enc. Fratelli tutti, n. 166). L’une de ces voies est le risque d’addiction aux me?dias nume?riques, qui appauvrit les relations humaines. Le Care?me est un temps propice pour contrer ces e?cueils et cultiver pluto?t une communication humaine plus inte?grale (cf. ibid., n. 43), faite de « vraies rencontres » (ibid., n. 50), face a? face.

Ne nous lassons pas de faire le bien dans la charite? concre?te envers notre prochain. Au cours de ce Care?me, pratiquons l’aumo?ne avec joie (cf. 2 Co 9, 7). Dieu « fournit la semence au semeur et le pain pour la nourriture » (2 Co 9, 10) pourvoit a? chacun d’entre nous, non seulement pour que nous puissions avoir a? manger, mais aussi pour que nous puissions faire preuve de ge?ne?rosite? en faisant du bien aux autres. S’il est vrai que toute notre vie est un temps pour semer le bien, profitons particulie?rement de ce Care?me pour prendre soin de nos proches, pour nous rendre proches de ces fre?res et sœurs blesse?s sur le chemin de la vie (cf. Lc 10, 25-37). Le Care?me est un temps propice pour rechercher, et non e?viter, ceux qui sont dans le besoin ; appeler, et non ignorer, ceux qui de?sirent l’e?coute et une bonne parole ; visiter, et non abandonner, ceux qui souffrent de la solitude. Mettons en pratique l’appel a? faire du bien envers tous en prenant le temps d’aimer les plus petits et les sans de?fense, les abandonne?s et les me?prise?s, celui qui est victime de discrimination et de marginalisation (cf. Enc. Fratelli tutti, n. 193).

« Nous re?colterons si nous ne perdons pas courage »

Le Care?me nous rappelle chaque anne?e que « le bien, comme l’amour e?galement, la justice et la solidarite? ne s’obtiennent pas une fois pour toutes ; il faut les conque?rir chaque jour » (ibid., n. 11). Demandons donc a? Dieu la patiente constance du cultivateur (cf. Jc 5, 7) pour ne pas renoncer a? faire le bien, pas a? pas. Que celui qui tombe tende la main au Pe?re qui rele?ve toujours. Que celui qui s’est perdu, trompe? par les se?ductions du malin, ne tarde pas a? retourner a? lui qui « est riche en pardon » (Is 55, 7). En ce temps de conversion, trouvant appui dans la gra?ce de Dieu et dans la communion de l’E?glise, ne nous lassons pas de semer le bien. Le jeu?ne pre?pare le terrain, la prie?re l’irrigue, la charite? le fe?conde. Nous avons la certitude dans la foi que « nous re?colterons si nous ne perdons pas courage » et que, avec le don de la perse?ve?rance, nous obtiendrons les biens promis (cf. He 10, 36) pour notre propre salut et celui des autres (cf. 1 Tim 4, 16). Pratiquant l’amour fraternel envers tous, nous sommes unis au Christ, qui a donne? sa vie pour nous (cf. 2 Co 5, 14-15) et nous gou?tons d’avance la joie du Royaume des Cieux, quand Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15, 28).

Que la Vierge Marie, du sein de laquelle a germe? le Sauveur, et qui gardait toutes les choses « et les me?ditait dans son cœur » (Lc 2, 19), nous obtienne le don de la patience et nous soit proche par sa pre?sence maternelle, afin que ce temps de conversion porte des fruits de salut e?ternel.

Donne? a? Rome, pre?s de Saint Jean de Latran, le 11 novembre 2021, Me?moire de Saint Martin, Evêque.

FRANÇOIS

NOTES

[1] Cf. Saint Augustin , Serm. 243, 9,8 ; 270, 3 ; En. in Ps. 110, 1.

[2] Cf. Moment extraordinaire de prie?re en temps d’e?pide?mie (27 mars 2020).

[3] Cf. Ange?lus du 17 mars 2013.