Homélie du 12 Juin
« ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ».
Mgr Le Gall raconte que le père Abbé de Solesmes disait un jour à propos d’un polytechnicien : « il sait tout mais rien de plus ». Ce rien de plus, ce supplément insaisissable, c’est cette part que Dieu nous donne de connaître, cette part de connaissance qu’il révèle à ceux qui ouvrent leur cœur à son amour, humblement. Germaine n’a pas fait Polytechnique, ni l’Ena et pourtant depuis 1644 elle nous rassemble, ici, elle nous accompagne, elle nous enseigne. Cachée aux yeux des hommes elle a déployé dans son cœur, sa capacité d’aimer, sa capacité de connaître ce que les sages et les savants ne voient pas. Ainsi Dieu lui a révélé sa Sagesse … au point que toute sa vie affirmait de tout son être l’exhortation de saint Paul aux Romains « qui pourra nous séparer de l’amour du Christ, la détresse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? »
Les 22 années qu’elle a passées dans ce paysage n’ont pas été faciles, malade, un bras handicapé, malaimée par la seconde épouse de son père, elle est allée confier son fardeau dans le cœur du Christ « venez à moi je vous donnerai le repos ». Ce repos, ce shabbat où l’homme vient se reposer en Dieu et Dieu vient reposer l’homme. Elle l’a vécu intégralement, elle n’avait pas d’autre choix ou bien elle se laissait anéantir par les épreuves ou bien elle rendait le bien pour le mal et pour cela elle savait ce qu’il fallait faire, tout déposer dans le cœur de Jésus, le maître du shabbat. « Je vous donnerai le repos ». Ce repos, cette paix profonde personne ne peut y toucher, personne ne peut nous l’enlever, elle est le Cœur de Jésus au cœur de notre cœur. Simplement poser sa tête sur le cœur du Christ comme saint Jean le disciple bien-aimé.
Ce cœur qui nous invite sans cesse : « venez à moi vous tous qui avez soif », vous qui l’aimez sans l’avoir vu comme le dit la lettre de Pierre. Cette paix ne peut pas lui être enlevée et Dieu l’y garde sans cesse. L’anecdote du pain dans son tablier qu’elle voulait porter aux plus pauvres qu’elle, y avait-il plus pauvre qu’elle ? La méchanceté de la marâtre l’oblige à ouvrir son tablier et des roses apparaissent comme au Mexique dans la tilma du pauvre Juan Diego…
Ce sont des signes qui ne trompent pas. Notre être ne se limite pas à son apparence physique, notre être ne peut pas s’enfermer dans un algorithme, il est comme le dit saint Paul pétri de ciel, il est spirituel, ce qui donne une profondeur et une richesse extraordinaires à notre vie. Si nous nous arrêtons à la pauvre apparence de Germaine, nous la dédaignerons comme sa famille l’a fait, la laissant mourir seule sans affection ! Elle ne se montrait pas, sa maladie la faisait se tenir cachée mais au lieu d’en éprouver de l’amertume elle a transformé son mal en bonté, elle a laissé peu à peu l’amour divin envahir tout son être. Si tu imites Dieu en ce qui est conforme à ta nature et ne dépasses pas tes ressources, tu revêts comme un vêtement la forme bienheureuse de Dieu (Grégoire de Nysse). C’est-à-dire que si tu imites Dieu avec ce que tu es, pour Germaine malade, handicapée, exclue sans chercher à être autre, eh bien tu rayonnes Dieu.
Par le baptême nous avons revêtu le Christ, par notre vie de chrétien nous sommes comme lui chacun selon notre singularité, comme nous sommes, petit, grand, beau moins beau, nous sommes appelés comme Germaine à nous revêtir pleinement de cet amour gratuit.
Pour vivre de cet amour, il faut se dépouiller de nos richesses de nos égoïsmes, il faut se dépouiller même de nos souffrances, ne pas s’en plaindre mais les offrir, il faut entrer dans le don de soi, lekh lekha (quitte-toi toi-même dit Dieu à Abraham) comme Germaine va donner au plus pauvre ce qui lui est nécessaire. « Quitte-toi, toi-même » et pose les armes de l’individualisme, de la coquetterie, de l’orgueil personnel, de son « c’est mon choix », « c’est ma vérité » « c’est mon droit ». Il faut poser les armes, il faut laisser cette étonnante puissance de l’amour agir en nous comme Germaine qui confiante plante sa quenouille au milieu des moutons qu’elle garde pour courir comme au chapitre 4 du Cantique des Cantiques vers son Bien aimé vers son Seigneur et les moutons sont gardés …cette quenouille, plantée comme le serpent d’airain de Moïse dans le désert, écarte les morsures et les loups. Et la rivière s’ouvre pour la laisser passer. Quel miracle ! Oui mais c’est parce qu’elle s’est dépouillée d’elle-même de son quant à soi de l’opinion qu’elle se fait d’elle-même, du regard blessant des autres qu’elle peut franchir la rivière comme les Hébreux la mer Rouge.
Ici à Pibrac, la nature est douce, sereine, elle rappelle certains endroits de la Toscane. Germaine bergère y a vécu au rythme des saisons comme dans un jardin d’Éden d’une certaine manière, dans un mode de vie naturellement écologique. Cet équilibre dans lequel elle vivait disait Dieu à chaque instant, la nature l’accompagnait paisiblement comme ces saints moines du désert qui apprivoisaient les lions et transformaient le désert en jardin. La présence verdoyante de Germaine ici peut nous enseigner que d’être simplement là au cœur de la création la présence rayonnante du Créateur peut changer bien des choses, produire le miracle des fleurs.
Daniel Facérias, diacre
Homélie du 13 Juin
« Je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert
et reverdir l’arbre sec. » Ce magnifique texte d’Ézéchiel s’éclaire ici à Pibrac d’une lumière particulière avec sainte Germaine. Le Seigneur relève l’arbre renversé et renverse l’arbre élevé. Ce qui paraît tordu aux yeux des hommes Dieu le relève, le voit droit parce qu’il voit au-delà de l’apparence. Cette jeune fille maladive sans charme apparent que la vie renverse, le Seigneur la relève faisant écho à une chanson de Raimbault d’Orange, un troubadour d’Occitanie du douzième siècle, la chanson de la fleur inverse qui a ses racines dans le ciel. « Quand paraît la fleur inverse le monde alors s’inverse les plaines deviennent des collines les feuillages deviennent des ronces et la neige une fleur. » Eh bien notre petite sainte est cette fleur inverse, cet arbre relevé par la grâce de Dieu qu’elle a su accueillir comme ce palmier du psaume qui grandira après sa mort comme un cèdre du Liban.
La sainteté n’est pas visible immédiatement, parfois même elle surprend et elle provoque car le saint est en contradiction avec le monde. La sainteté renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, quel paradoxe ! L’Évangile de Marc joue de ce paradoxe
Le royaume des cieux n’est pas perceptible il n’a pas d’apparat car il est comme une graine de moutarde, un grain sénevé, minuscule c’est presque une nano particule à l’intérieur de nous. Elle peut rester en l’état si nous ne la cultivons pas, mais que nous le voulions ou pas, elle est là, elle demeure même enfouie sous nos doutes et sous nos illusions, elle est là cette graine de moutarde et si nous prenons soin d’elle, elle peut devenir un grand arbre où les oiseaux du Ciel viennent se poser.
En hébreu le sénevé correspond à la lettre iod la plus petite lettre qui contient toutes les lettres de l’alphabet. Tous les possibles. Il est le point qui contient toutes les lignes, toutes les formes géométriques, il est le cœur. Le royaume des cieux contenu tout entier dans ce petit grain, dans ce iod, dans ce cœur. Et c’est ici que ce grain de moutardier a pris dans la terre de Pibrac dans le jardin du cœur de Germaine. Sans que personne ne s’en aperçoive, en secret comme un cœur à cœur avec Dieu. Et quel arbre en est sorti à l’image de la Basilique.
La deuxième lecture nous donne une clé de compréhension de cette petitesse, de cet infiniment petit, qui est une faiblesse, une fragilité dans un monde fort, grandiloquent et violent, et que Dieu privilégie pour manifester sa grandeur : chacun reçoit en fonction du bien qu’il fait. Ce n’est pas si simple de rendre le bien pour le mal que l’on nous fait et pourtant c’est la clé du renversement des pôles d’Ézéchiel qui relève ce qui est renversé, le monde se rend coup pour coup comme la marâtre de Germaine qui la suspecte de voler du pain et Dieu répond avec des roses. Et Jésus est frappé, crucifié à mort et il donne la vie. Ce renversement que nous avons du mal à comprendre est la clé de toute connaissance et de toute sagesse. Comment la souffrance de la Croix peut-elle nous sauver et pourquoi ? Saint Bernard disait le clou qui a percé sa chair est la clé qui a ouvert mon cœur, c’est un jeu de mot en latin clavis/clavus. Le clou de la souffrance est la clé qui ouvre mon cœur. Sainte Germaine nous le dit par sa vie même. Ce qu’elle a supporté invisiblement Dieu va le rendre manifeste plus de quarante ans après sa mort par sa sainteté. Ce corps de souffrance maltraité, exclu, rejeté est retrouvé intact dans une lumière taborique, ouvrant les yeux et le cœur de milliers de pèlerins. Le grain de moutarde a germé, il a fait croître l’arbre de la foi aux racines plantées dans le ciel.
La pandémie et les difficultés qu’elle engendre, nous devons la traverser comme sainte Germaine traverse la rivière. Devant l’obstacle elle se confie à Dieu qui ouvre la rivière et lui permet de traverser. Cette confiance pourrait sembler aveugle et sans intelligence, non, au contraire, cette confiance en Dieu est le gage d’une intelligence et d’une hauteur de vue peu commune car je peux tout en celui qui me fortifie (Philippiens). Et nous pourrons dire avec sainte Germaine :
Loué sois-tu Seigneur !
Daniel Facérias, diacre